Erreurs médicamenteuses périopératoires en pédiatrie

by Ying Eva Lu-Boettcher, MD, Rahul Koka, MD

DÉFINITION ET FRÉQUENCES

Une erreur médicamenteuse est « un dysfonctionnement du processus de traitement qui nuit ou pourrait nuire au patient ».1 En règle générale, les erreurs médicamenteuses périopératoires ne sont pas correctement déclarées. La fréquence des erreurs médicamenteuses est difficile à quantifier avec précision car peu d’études ont porté sur l’observation des anesthésistes pendant qu’ils prescrivent et administrent des médicaments. Dans le cadre d’une grande étude institutionnelle de patients adultes, la fréquence des erreurs médicamenteuses déclarées était de 0,004 % (10/280,488) alors que celle des erreurs observées était de 5,3 % (193/3671). Cela suggère que seules les erreurs médicamenteuses graves associées à des séquelles seraient déclarées.2 Dans le cadre de l’anesthésie pédiatrique, il est estimé que la fréquence des erreurs médicamenteuses déclarées est comprise entre 0,01 % (276/2,316,635) et 1,92 % (37/1,925).3-4,7 Le poids des patients fluctue davantage en pédiatrique, ce qui cause une variabilité plus grande du calcul des doses. Les enfants sont donc plus exposés au risque d’erreurs médicamenteuses et au risque de préjudice lié à ces erreurs que les patients adultes.6

CAUSES COURANTES DES ERREURS MÉDICAMENTEUSES

Les anesthésistes travaillent dans des conditions très intenses où plusieurs doses et classes de médicaments sont administrées dans le cadre de situations cliniques au rythme effréné. Cet environnement prédispose les anesthésistes à commettre des erreurs médicamenteuses. En outre, les anesthésistes prennent très souvent la responsabilité de l’ensemble du processus d’administration des médicaments, y compris la prescription, la préparation et l’administration. Des dangers sont présents tout au long du processus (Figure 1).

Figure 1 : Principales erreurs médicamenteuses pédiatriques dans le cadre périopératoire pendant les différentes phases de manipulation : préparation, prescription ou administration Adapté et modifié avec l’autorisation de Lobaugh LMY et al. Anesth Analg. 2017; 125:936–942.7

Figure 1 : Principales erreurs médicamenteuses pédiatriques dans le cadre périopératoire pendant les différentes phases de manipulation : préparation, prescription ou administration Adapté et modifié avec l’autorisation de Lobaugh LMY et al. Anesth Analg. 2017; 125:936–942.7

Wake Up Safe, une collaboration nationale d’amélioration de la qualité de l’anesthésie pédiatrique, a constaté que les sédatifs et les hypnotiques/opiacés sont les médicaments qui sont le plus souvent liés des erreurs.

Elle a également constaté que le nombre le plus élevé d’erreurs médicamenteuses survenait pendant l’administration (N = 179), puis au stade de la prescription (mauvaise connaissance de la dose, N = 67) et enfin lors de la préparation (N = 30) (Figure 2), à la page suivante. Le type d’erreur le plus courant pendant l’administration était une erreur de dose (N = 84), puis l’échange de seringues (administration accidentelle de la mauvaise seringue, N = 49). Cinquante-sept incidents (21 %) parmi les erreurs médicamenteuses déclarées concernaient des perfusions plutôt que des administrations de bolus. Il est important de noter que la quasi-totalité (97 %) des erreurs médicamenteuses ont été jugées évitables.7

Figure 2 : Phase de manipulation et incidence des erreurs médicamenteuses périopératoires chez les patients pédiatriques : administration, prescription et préparation.<br /><br />
Adapté et modifié avec l’autorisation de Lobaugh LMY et al. Anesth Analg. 2017; 125:936–942.7

Figure 2 : Phase de manipulation et incidence des erreurs médicamenteuses périopératoires chez les patients pédiatriques : administration, prescription et préparation.

Adapté et modifié avec l’autorisation de Lobaugh LMY et al. Anesth Analg. 2017; 125:936–942.7

COMMENT CONTRÔLONS-NOUS LE RISQUE PENDANT L’ADMINISTRATION DES MÉDICAMENTS ?

L’étape critique de l’administration des médicaments survient une fois qu’on a appuyé sur la seringue ou démarré la perfusion.8 Une fois que le médicament est administré au patient, il est possible que son état change de manière immédiate et irréversible. Le processus d’administration comporte un risque inhérent d’erreur et de dommages. Certaines interventions technologiques et impliquant les processus peuvent aider à atténuer, voire éliminer, les dommages causés potentiellement par l’erreur (Tableau 1).

Tableau 1 : Les interventions impliquant la technologie et les processus réduisent le taux d’erreurs médicamenteuses.

Tableau 1 : Les interventions impliquant la technologie et les processus réduisent le taux d’erreurs médicamenteuses.

PLEINS FEUX SUR LES ERREURS MÉDICAMENTEUSES EN PÉDIATRIE :

Pour la population pédiatrique, il faut envisager des techniques de réduction du risque fondées sur des données spécifiques (Figure 3).

Figure 3 : Analyse par la méthode Nœud Papillon des erreurs médicamenteuses peropératoires <br /><br />
POC = Point-Of-Care ou lieu d’intervention

Figure 3 : Analyse par la méthode Nœud Papillon des erreurs médicamenteuses peropératoires

POC = Point-Of-Care ou lieu d’intervention

Le système d’organisation des médicaments du Modèle des médicaments en anesthésie (Anesthesia Medication Template, AMT) est une méthode formelle et standardisée d’organisation des médicaments dans l’espace de travail de l’anesthésie. Cet outil réduit la charge cognitive et il a été démontré qu’il facilite la sélection des bonnes seringues dans l’espace de travail de l’anesthésie, ainsi que l’administration des doses correctes de médicament.9 Pendant une simulation dans un hôpital universitaire pédiatrique indépendant, l’utilisation d’un AMT a permis de réduire le nombre total d’erreurs de dosage de 10,4 à 2,4 sur 100 administrations de médicament. Pendant la mise en œuvre de la phase 2, l’utilisation de l’AMT a réduit le taux mensuel moyen des erreurs qui atteignaient les patients pédiatriques de 1,24 à 0,65 erreurs sur 1000 anesthésies. Sur les erreurs affectant le patient, l’AMT a permis de réduire le nombre de substitutions de médicament, d’erreurs de dosage et de moment de l’administration de 0,80 à 0,26 sur 1000 anesthésies.9

Une autre technique d’atténuation est l’utilisation de seringues préremplies. De nombreux groupes qui se consacrent à la sécurité des patients, notamment l’APSF et Wake Up Safe, recommandent les seringues préremplies. Celles-ci peuvent être dotées d’un étiquetage normalisé et amélioré et peuvent se présenter sous une forme de doses prêtes à l’emploi.10-12 Cette pratique peut réduire les erreurs de substitution d’ampoule/flacon et peut également diminuer le risque d’échange de seringue.11 Une étude qualitative de 2016, Vulnérabilités systémiques (VS), a comparé les systèmes avec des seringues remplies par les soignants et ceux où les seringues étaient préremplies. Une VS est définie comme « une activité ou événement qui présente le potentiel de réduire la sécurité, l’efficacité du flux de travail des soignants ou d’augmenter le coût des médicaments et les déchets ».12 Plus de VS ont été identifiées dans le système des seringues remplies par les soignants par rapport au système de seringues préremplies, y compris des erreurs dues à une écriture illisible et des erreurs liées à des emballages de médicaments similaires.12 Malgré leur profil de sécurité, des rapports d’erreurs médicamenteuses liées à des seringues préremplies à l’apparence similaire ont été publiés, impliquant certains fabricants. Ces rapports soulignent l’importance du choix de produits pharmaceutiques préremplis qui sont conformes aux normes fixées par l’American Society for Testing et qui se distinguent aussi visuellement une fois prêts à l’emploi.13-14

Une troisième modalité est l’utilisation de systèmes de lecture de codes-barres sur le lieu d’intervention.15-17 Une étude observationnelle portant sur l’efficacité de la mise en œuvre d’une technologie de vérification des médicaments par code-barre chez une population de patients adultes hospitalisés a suggéré une réduction de 41 % des erreurs de dose, de voie, de documentation et d’administration et une réduction de 51 % des événements indésirables potentiels liés aux médicaments.15 Dans une étude réalisée en 2022 dans un hôpital universitaire de soins quaternaires pour enfants, la mise en œuvre d’un système d’étiquetage électronique a révélé une réduction de 3,6 % par jour du taux moyen de divergence médicamenteuse. Avant la mise en œuvre, le taux moyen par jour de divergence médicamenteuse était de 9,7 %, qui a baissé à un taux statistiquement significatif de 6,1 % (X21 = 43,9 ; P < 0,0001) après la mise en œuvre.16 Les limites de ces technologies sont notamment la faisabilité par l’utilisateur, la conformité, le coût et la disponibilité.15-17 Bien que la technologie puisse être incroyablement utile, elle doit être utilisée de la manière prévue pour réduire les erreurs médicamenteuses. Lorsqu’elle fonctionne en dehors des paramètres des utilisations prévues, la technologie peut représenter un risque. Par exemple, la lecture des codes-barres fonctionne bien seulement sous réserve que les systèmes soient reliés au DME et que le code-barres fourni s’enregistre correctement. D’autre part, l’utilisation de la technologie des codes-barres sur le lieu d’intervention exige un partenariat avec la pharmacie pour les mises à jour des systèmes, les changements d’étiquette et la gestion des pénuries de médicaments.

CONCLUSION

L’observation directe via des études publiées de patients en anesthésie adulte et pédiatrique au bloc opératoire estime un taux d’erreurs médicamenteuses atteignant 5 %.2 Il est signalé que le nombre de dommages causés par les erreurs médicamenteuses serait jusqu’à trois fois plus grand chez les patients pédiatriques que chez les adultes. Le taux d’événements indésirables liés aux médicaments est le plus élevé parmi les nouveau-nés. Les stratégies potentielles de réduction des erreurs médicamenteuses comprennent l’utilisation de seringues préremplies, la prise en compte du DME dans le processus décisionnel, les aides de l’organisation des médicaments et les systèmes de lecture des codes-barres.

 

Ying Eva Lu-Boettcher, MD, est professeure adjointe du département d’anesthésie à University of Wisconsin School of Medicine and Public Health, Madison, Wisconsin.

Rahul Koka, MD, est professeur adjoint d’anesthésie-réanimation à Johns Hopkins University School of Medicine, Baltimore, Maryland.


Les auteurs ne signalent aucun conflit d’intérêts.


DOCUMENTS DE RÉFÉRENCE

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