INTRODUCTION
En 2009, le Bulletin d’information de l’APSF discutait du risque de thrombose tardive après la pose d’un stent coronaire à élution médicamenteuse, représentant une préoccupation constante pour la sécurité des patients.1 Il a découvert qu’une thrombose de stent, bien que rare, représentait 60 % du nombre d’infarctus du myocarde (IDM) et était associée à une mortalité de 45 %. Des études anciennes réalisées sur des animaux ont permis de constater qu’une endothélialisation complète avec des stents métalliques nus (BMS pour Bare Metal Stents) survenait en 28 jours, alors que les stents coronaires à élution médicamenteuse (DES pour Drug-Eluting Stents) de première génération montraient uniformément une guérison incomplète à 180 jours.2 En 2008, l’American College of Chest Physicians (ACCP) recommandait de différer la chirurgie élective de 12 mois après la pose d’un stent coronaire à élution médicamenteuse,3 pesant lourdement sur les patients qui avaient besoin d’une chirurgie urgente. Ainsi, en 2009, le Bulletin d’information de l’APSF a reconnu l’absence de protocoles universellement acceptés pour la gestion des patients se présentant pour une chirurgie non cardiaque après la pose récente d’un stent. Il mettait l’accent sur la nécessité d’un processus décisionnel collaboratif, entre le patient, l’interne, le chirurgien, l’anesthésiste et le cardiologue. Il précisait que cette discussion multidisciplinaire devait tenir compte du type et du moment de la pose du stent, de la nature et de l’urgence de la chirurgie envisagée, de la gestion de la thérapie antiplaquettaire périopératoire et du choix d’établissement pour réaliser la chirurgie. Si la chirurgie devait être réalisée chez des patients qui avaient fait l’objet de la pose récente d’un stent, elle devait, dans l’idéal, avoir lieu dans un établissement disposant de la présence 24 h/24 d’un cardiologue interventionnel, car une intervention coronarienne percutanée (ICP) reste la meilleure option de traitement en cas de thrombose de stent.1

BAAP : Bithérapie antiagrégante plaquettaire ; ACC : American College of Cardiology ; AHA : American Heart Association ; ESC : Société européenne de cardiologie
Depuis, la technologie a considérablement évolué et la durée recommandée de bithérapie antiagrégante plaquettaire (BAAP) a radicalement changé. Les stents standard de première génération étaient en métal nu avec un polymère imprégné d’un médicament anti-resténotique, tel que le sirolimus ou le paclitaxel. Il a été démontré que les stents coronaires à élution médicamenteuse nouvelle génération, tels que les stents en polymère biodégradable ou les échafaudages biodégradables, contribuent à une réduction du nombre de thromboses de stent. Ces stents nouvelle génération peuvent permettre de réduire la durée de BAAP sans mettre en danger la sécurité du patient.
Le facteur le plus important à prendre en compte pour décider de la durée optimale de BAAP est peut-être de trouver un juste équilibre entre le risque de thrombose de stent et le risque de complications hémorragiques. Les études ont démontré qu’une BAAP était associée à un risque accru d’hémorragie, en particulier chez les patients âgés ou ceux présentant des comorbidités.4,5 Les complications hémorragiques augmentent considérablement le risque de morbidité et de mortalité, et un haut risque hémorragique (HBR) est présent chez environ 40 % des patients se présentant pour une ICP.5 Les outils qui évaluent le risque hémorragique avec la BAAP incluent le score PRECISE-DAPT6 et les critères du haut risque hémorragique de l’Academic Research Consortium (ARC-HBR).4
ÉLÉMENTS DE PREUVE EN FAVEUR D’UNE DURÉE PLUS COURTE DE BAAP
Le haut risque hémorragique (HBR) est défini par la présence d’au moins un des critères HBR (Tableau 1).⁷
Deux études antérieures ont examiné des patients à haut risque qui avaient subi une ICP et avaient été traités par une BAAP de courte durée, avec du ticagrelor en monothérapie ou du ticagrelor associé à de l’aspirine. Le ticagrelor est un inhibiteur oral du récepteur P2Y12 d’action rapide, qui procure une inhibition plaquettaire plus rapide, plus profonde et plus homogène que le clopidrogrel. La première étude a constaté que le ticagrelor en association avec l’aspirine pendant 1 mois, suivi de ticagrelor en monothérapie, améliorait les résultats après une ICP, par rapport aux traitements antiplaquettaires standard.8 La deuxième étude a examiné des patients à haut risque qui subissaient une ICP avec 3 mois de BAAP, déterminant que le ticagrelor en monothérapie était associé à une réduction du nombre d’hémorragies cliniquement pertinentes par rapport au ticagrelor en association avec l’aspirine, avec un risque de décès, d’IM ou d’AVC qui n’était pas plus élevé.9
Plusieurs autres essais fondamentaux ont été publiés récemment, mettant en lumière la sécurité et l’efficacité de l’arrêt plus précoce de la bithérapie antiagrégante plaquettaire (Tableau 2). Ces stents coronaires plus récents sont parfaits pour les patients qui sont à plus haut risque d’hémorragie. Ces études ont constaté uniformément un nombre inférieur d’ischémies, permettant de raccourcir la durée de BAAP, ce qui réduit le risque d’hémorragie chez les patients. Ces nouveaux stents plus récents se comparent favorablement avec les stents en métal nu en termes de mortalité toutes causes confondues, d’infarctus du myocarde, d’AVC et de revascularisation de la lésion cible motivée par l’ischémie.10-14
Tableau 2 : Synthèse des études récentes qui examinent les traitements BAAP de durée réduite.
RECOMMANDATIONS DES ORGANISMES
D’après les preuves disponibles et actualisées, l’American College of Cardiology (ACC) et l’American Heart Association (AHA) font une recommandation de Classe 2a (modérée) pour une durée plus courte de BAAP. Certains patients subissant une ICP peuvent passer en toute sécurité à un inhibiteur P2Y12 en monothérapie et arrêter l’aspirine au bout de 1 à 3 mois de BAAP, avec un rapport bénéfice risque favorable.15
En revanche, la Société Européenne de Cardiologie fait les recommandations suivantes quant à la durée de la DAPP.16 Après une ICP pour un syndrome coronarien aigu (SCA) sans sus-décalage du segment ST (NSTEMI), une DAAA avec un inhibiteur puissant du récepteur P2Y12 et de l’aspirine est généralement recommandée pendant 12 mois, quel que soit le type de stent utilisé, sauf contre-indication. Toutefois, dans des contextes cliniques spécifiques, tels qu’un haut risque hémorragique (p.ex. en fonction du score PRECISE-DAPT > 25 ou des critères ARC-HBR), les cliniciens peuvent envisager de raccourcir la durée de la BAAP (<12 mois) ou de modifier le traitement en fonction des risques ischémiques et hémorragiques, des événements indésirables, des comorbidités, des médicaments concomitants et de la disponibilité des médicaments. Il convient de noter que chez les patients SCA-NSTEMI avec une implantation de stent associée à un risque hémorragique élevé, l’arrêt du traitement par inhibiteur du récepteur P2Y12 après 3 à 6 mois doit être envisagé. Dans les cas de risque hémorragique très élevé, tels qu’un épisode hémorragique récent (après 30 jours) ou une chirurgie imminente ne pouvant être reportée, un traitement par aspirine et clopidogrel pendant un mois peut être approprié.
En 2022, l’American College of Chest Physicians (ACCP) a modifié ses recommandations concernant le moment de l’utilisation de la BAAP après la pose d’un BMS.17 L’ACCP donne une recommandation conditionnelle pour les patients devant subir une chirurgie élective et chez lesquels un stent a été posé au cours des 3 à 12 mois et qui suivent une BAAP. Il recommande l’arrêt de l’inhibiteur de P2Y12 avant la chirurgie, en s’appuyant sur des éléments de preuve indirects et les avis d’experts suggérant l’innocuité de l’arrêt des inhibiteurs de P2Y12 chez les patients dont le stent a été implanté plus de 3 mois auparavant (Tableau 3).
Tableau 3 : Recommandations des organisations pour abréger la BAAP avant une chirurgie.
CONCLUSION
Dans le domaine de la cardiologie, les paradigmes concernant la durée de la BAAP ont considérablement évolué depuis le Bulletin d’information de l’APSF de 2009. La technologie des stents nouvelle génération a conduit à une réduction du nombre de thromboses de stent. D’autre part, les cardiologues ont eux aussi réduit la durée recommandée de BAAP sur ces nouveaux stents coronaires à élution médicamenteuse à des traitements antiagrégants de 1 à 3 mois chez les patients avec une maladie coronarienne stable. Grâce aux meilleures performances de ces nouveaux stents, les BMS sont devenus relativement obsolètes et sont moins privilégiés par les médecins. Les décisions concernant la durée de BAAP dans le cadre d’une chirurgie urgente doivent être prises par les cardiologues, en étroite collaboration avec l’équipe chirurgicale et l’équipe d’anesthésie. Les anesthésistes doivent être vigilants à propos de ces durées de BAAP plus courtes. Ils doivent savoir que les durées de traitement antiagrégant de seulement un mois peuvent être recommandées pour les patients qui ont reçu un stent récemment, d’après les preuves du profil de sécurité accrue de ces stents coronaires nouvelle génération.
Janak Chandrasoma, MD, est professeur associé d’anesthésie clinique, École de médecine Keck d’USC, Los Angeles, Californie.
Abigail Song, BS, est étudiante en 4e année de médecine à l’École de médecine Keck d’USC, Los Angeles, Californie.
Joseph W. Szokol, MD, est professeur d’anesthésie clinique, École de médecine Keck d’USC, Los Angeles, Californie.
Antreas Hindoyan, MD, est professeur adjoint de médecine clinique, École de médecine Keck d’USC, Los Angeles, Californie.
Les auteurs ne signalent aucun conflit d’intérêts.
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